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Nous, Les Saisons, Notre siècle de Artavazd Pelechian

Nous, Les Saisons, Notre siècle de Artavazd Pelechian

Une sensation cosmique, mais aussi fortement terrienne

Une sensation d’ivresse, mais ressentie en toute lucidité. Ces sensations paradoxales, ce sont celles ressenties à la vision du cinéma d’Artavazd Pelechian, «cinéaste et poète du réel» dont une sélection de trois moyens-métrages a connu une première vraie sortie en salle.

Quoique pouvant être vus indépendamment les uns des autres, les trois « films de montage » Nous (1969), Les saisons (1972) et Notre siècle (1982) constituent ainsi un triptyque qui brasse le local comme l’universel, l’éphémère comme l’atemporel, la persistance comme la contemporanéité.

Décrire les films de Pelechian n’est pas chose aisée surtout quand, sous la main, on n’a que des mots. Ce serait beaucoup plus simple avec de la musique, tant c’est à ce mode de composition que les symphonies visuelles du cinéaste arménien renvoient de manière assez évidente. Tentons quand même de le faire.

Nous est un film portrait : Portrait au sens propre avec sa multitude de visages offerts à notre contemplation et portrait d’un peuple pris dans le cycle de ses tourments où processions, séparations et retrouvailles participent d’un même mouvement.

Les saisons s’attache à montrer comment, à vouloir dompter la nature, l’homme semble pris d’une ivresse, d’un mouvement qui le précipite vers l’engloutissement.

Notre siècle poursuit l’exploration de ce mouvement, cette fois, sur le versant de la technique. Plus que de conquête spatiale, il s’agit là d’une quête cosmique. Là aussi, où l’homme va-t-il inscrire sa place dans ce grand mouvement ?

Finalement, plus que de les résumer, une façon de décrire les films de Pelechian serait de dire qu’ils explorent la perturbation et l’harmonie, le passage de l’un à l’autre et l’équilibre instable qui naît de leur confrontation. Films en forme de flux visuels qui se mesurent aux flux de l’homme pris dans les mouvements de la foule, dans le mouvement de l’Histoire, dans le cycle de la nature ou dans l’espoir des «bonds en avant» du progrès technique.

Les paradoxes abondent dans les films de Pelechian

Ce sont des films «sans acteurs ni paroles», mais où la figure humaine a été incarnée comme rarement. A l’instar des célèbres « plans portraits » de l’Evangile selon Saint-Matthieu de Pasolini (1964), il est difficile d’oublier les regards et les visages que nous croisons. Ce sont également des films qui, en brassant nombre d’images hétérogènes entre eux donnent l’impression d’une continuité accidentée. Films oxymorons. Films teintée de cette « obscure clarté qui tombe des étoiles » tant devant les films de Pelechian, le spectateur a l’impression de contempler une constellation d’images où chacune brille d’un éclat particulier et entretient des correspondances distantes avec ses voisines plus ou moins immédiates.

En plus de la musique, nous pourrions donc convoquer l’astronomie, la physique et la géométrie pour évoquer les films de Pelechian

Films spirales, films constellations, films saisis d’un mouvement brownien autour d’un noyau qui semble se dérober. Il faut bien ces analogies de formes empruntées à d’autres domaines que le cinéma pour dire l’aventure de l’Art, de la Science et de L’Histoire au vingtième siècle.

Toutes ces analogies pour affirmer la singularité du montage de Pelechian, qui parvient à transformer une matière filmée hybride en un vaste flux lyrique et subjectif, flux capable de se mesurer au flux de l’Histoire et des destinées individuelles ballottées.

Pelechian exacerbe une pratique du montage (et partant du cinéma) quelque peu laissée en jachère depuis Dziga Vertov (quoiqu’on en retrouve des traces dans les montages de Resnais et de Godard). Quelle que soit la valeur propre des plans, leur impact en sera renforcé par les interactions qui se produisent par un montage qui ne cherche pas la continuité, mais plutôt une sorte de frottement, de disjonction voire d’étincelle. Ainsi naissent de singuliers raccords qui agissent comme des courts-circuits sur la perception du spectateur. Exemple frappant dans Notre Siècle où après la mise à feu des fusées, des images de lueurs cosmiques sont synchronisées avec des battements de cœur. Son sourd de la mise à feu, envolée cosmique et vibration intime cristallisés en un seul moment. Grande émotion de voir alliée la perception subjective et l’ivresse devant le Grand Tout.

pelechian les saisons

Pour autant, le cinéma de Pelechian, s’il ne visait que la grande forme, la «symphonie en images» irait tout droit vers l’emphase

Ce qui le préserve de cette mauvaise pente, c’est aussi une salvatrice ironie, très sûre et très affirmée. Le recours au burlesque est assez fréquent, comme dans ce passage de Notre Siècle sur « ces merveilleux fous volants dans leurs drôles de machines », ces incunables de l’aviation à la poursuite du rêve d’Icare. L’ironie du cinéaste est encore plus affirmée quand il se permet de réemployer des images sans doute issues de films de propagande. En les faisant voisiner avec des images plus prosaïques et d’un lyrisme plus sincère, il révèle leur inhérente part de «gonflette». Pelechian ne cesse non plus de traquer la poésie ou le surréalisme caché dans les images officielles, comme cette étonnante parade d’un cosmonaute sous les vivats de la foule, mais qui se déroule… dans une avenue totalement inondée. Là encore, le combat de l’homme face au flux de la nature revient là où on ne l’attend pas.

Le rêve du film musical, Pelechian l’a donc accompli, mais il l’a accompli en démiurge artisanal

Notons que ce programme de trois moyens-métrages est organisé en trois mouvements qui construisent un crescendo très affirmé. Disons aussi qu’un spectateur placé devant ces films ressent aussi bien l’ampleur d’une symphonie que la nervosité et le goût de l’accident d’un set de DJ. Retrouver toute une Histoire des formes musicales condensées dans ces films de moins d’une heure, c’est encore une heureuse surprise de spectateur.

A propos de l'auteur

urmila

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