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Broken Flowers de Jim Jarmusch

Broken Flowers de Jim Jarmusch

Un voyage sentimental

Une lettre anonyme apprend à Don Johnston, un séducteur sur le retour, l’existence d’un fils de 20 ans. Pour découvrir l’identité de son fils, Don part à la rencontre de ses anciennes maîtresses…

Si l’on excepte Coffee and Cigarettes, suite de saynètes tournées sur plusieurs années, Broken Flowers succède aux deux incursions de Jim Jarmush dans le film de genre, à savoir le western avec Dead Man et le film noir avec Ghost Dog.

En regard de ces deux chef-d’œuvres, qui constituent à ce jour l’apogée du cinéaste, Broken Flowers pourra sembler mineur

En effet, alors que, dans ses précédents opus, Jarmush bouleversait son esthétique (Dead Man était inspiré par Edward S. Curtis qui photographia l’Ouest au début du siècle dernier, Ghost Dog revisitait la figure du samouraï par le rap et le polar), Broken Flowers emprunte un chemin très, et souvent trop, balisé. Du road movie (Stranger than Paradise) à la forme sérielle (Night on Earth), il n’y a rien là que Jarmush n’ait déjà expérimenté par le passé.

De même, la retenue un rien affectée de la mise en scène, refusant tout effet ostentatoire, prend le risque d’une certaine morosité. Cependant, ces réserves émises, Broken Flowers ne cesse d’être un objet élégant, à l’image de son interprète, le lunaire Bill Murray.

Devenu star grâce à l’émission Saturday Night Live et à la série des Ghostbusters, Murray a connu une longue éclipse avant d’être redécouvert au début des années 2000, en particulier grâce aux films de Wes Anderson.

Dans Rushmore, La Famille Tenenbaum et La Vie aquatique, l’acteur a imposé une forme très particulière de comique « cool », reposant sur de longs moments de stases ensommeillées. Son personnage de Broken Flowers s’inscrit lui-aussi dans un moment de vide existentiel, proche de celui qui saisissait le comédien déphasé de Lost in Translation de Sofia Coppola.

 

Si le personnage part à la recherche des femmes de son passé, c’est autant pour retrouver son fils caché que pour mesurer la trace de sa propre existence

Le nom du personnage, Don Johnston, l’indique : Broken Flowers est une variation sur le mythe de Don Juan. Au début de Broken Flowers, passe à la télévision un vieux film hollywoodien où Douglas Fairbanks interprète l’éternel séducteur. Dans l’extrait, il est question des premiers cheveux blancs du personnage qui signeront bientôt la fin de son pouvoir.

Johnston connaît lui-aussi une douloureuse entrée dans la maturité, même s’il éprouve davantage l’angoisse de la solitude. De même, le décompte des maîtresses de Johnston fait écho à la fameuse « liste » du séducteur dans l’opéra de Mozart (bien que les 1003 femmes aient été drastiquement réduites à 5).

Fidèle au mythe, le voyage de ce Don Juan américain se place sous le signe du désenchantement

Pourtant, la première étape débute sous les meilleurs auspices. Lorsque Don va frapper à la porte de Laura (Sharon Stone), c’est sa fille, une adolescente nommée Lolita, qui le reçoit. La jeune fille cumule tout les clichés de son prénom et, effrontément, ne tarde pas à se promener nue devant un « Humbert » Murray toujours imperturbable. Laura se montre heureuse de retrouver Don et les anciens amants passent la nuit ensemble.

Pourtant, la facilité avec laquelle le passé reprend vie et se confond avec le fantasme, provoque une inquiétude diffuse. Ces femmes douces et irréelles, trop belles pour être vraies, représentent pour Don l’adieu aux plaisirs terrestres. Du reste, chaque maîtresse qu’il rencontrera par la suite apparaîtra comme le négatif de cette idyllique première rencontre. Le retour de Don sur son passé va peu à peu se dégrader, jusqu’à virer au cauchemar dans une campagne hostile peuplée de motards agressifs.

Ce voyage somnambulique rappelle bien sûr celui de Blake dans Dead Man, s’enfonçant dans le territoire des morts

Il faudra à Don, pour achever son parcours, se recueillir sur la tombe de sa dernière conquête, la seule à être décédée. Les fleurs roses qu’il apporte à ses maîtresses révèlent alors leur signification funèbres : elles étaient destinées à l’enterrement de sa jeunesse.

Jarmush rejoint alors Fellini, l’autre grand cinéaste à avoir traité du donjuanisme dans son Casanova

Chez Fellini, le séducteur, à la fin de sa vie, entrait dans un territoire glacé, où, automate fardé et repoussant, il avait un mannequin articulé pour dernière partenaire. La voie qu’emprunte Jarmush n’est pas aussi tragique ni, malheureusement, aussi visionnaire. Rien ne vient briser la mélancolie douce dont le cinéaste est coutumier. Espérons toutefois que cette réflexion sur l’adieu aux vertes années ne constitue pas pour Jarmush le début d’une paisible retraite.

A propos de l'auteur

urmila

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